Léon André Touchard

entre la Sarthe, Eaubonne et Le Petit Parisien

 Pour bien comprendre la famille TOUCHARD et leurs descendants à Eaubonne, il faut commencer par faire un tour dans la Sarthe, à Sillé-le-Guillaume et dans les communes avoisinantes, dans la deuxième moité du XIXème siècle, et notamment autour de la guerre Franco-Prusse (1870-1871) qui a durement marqué Le Mans et sa région.

Commençons par le père de Léon, François Théodore Auguste. Celui-ci naît à Sillé-le-Guillaume en mars 1833. A l’âge de 28 ans il se marie avec une fille de Couptrain(1) de sept ans sa cadette, Marie Olive PICHEREAU. Le père de celle-ci est marchand, tout comme le père de François.

François fait des études de médecine, devient le médecin de Saint-Rémy-le-Sillé en 1861 puis, à partir de 1865 à Sillé même, dont il devient Conseiller Municipal et puis le Maire, de 1871 jusqu’en 1900. Il organise le service des ambulanciers pendant la guerre, il est considéré comme le bienfaiteur de le ville, est à l'origine de l'école publique primaire de la ville en 1882. Aujourd’hui une rue du centre (auparavant une partie de la Grande Rue) porte son nom, celle-là même où habitait la famille Touchard à partir de 1870.

Camp de Conlie - Dr Touchard

Mais le bon docteur était aussi un témoin direct des dégâts infligés dans la région par les combats de la Guerre Franco-Prusse, notamment la prise du Mans par les armées du prince Frédéric-Charles en janvier 1871. Venant d'Orléans, elles confrontent l’Armée de la Loire menée par le Général Chanzay. Ce fut un massacre, d’abord dans la plaine d'Arvours à 10 km à l’est de la ville, puis dans la ville même. Un tiers des 150 000 hommes du Général désertent, 7 000 sont tués, 20 000 sont fait prisonniers. Le surlendemain, le 13 janvier, l’armée allemande attaque le camp de Conlie(2) où se regroupait « L’armée de Bretagne », venue en renfort mais mal entraînée, très mal équipée . Les soldats prennent la fuite, comme ce fut aussi le cas de l’armée régulière des forces Françaises dans le reste du pays. C’est une des dernières grandes batailles de la guerre, qui se terminera deux semaines plus tard par le Traité de Francfort.

En haut de la tour du château de Sillé, aux cotés du Général Chanzy, le Docteur Touchard assiste en témoin impuissant au débâcle. Il en fait le récit dans un livre qu’il publie en 1871 intitulé « Souvenirs du Camp de Conlie ». C’est dans ce contexte mouvementé que les trois garçons du couple grandissent à Sillé : l’aîné Léon André a sept ans, son frère Georges six, et le benjamin Joseph cinq. Les deux aînés sont nés pratiquement à un an juste d’intervalle, puis Joseph 18 mois après.

On devine la complicité des deux aînés : non seulement ils grandissent presque comme des jumeaux, mais en plus ils choisissent la même carrière d’avocat et font leurs études de droit ensemble à Paris, et partagent le même appartement au 60 bd. Saint-Germain dans le 6ème Arrondissement. Pour pousser un peu plus loin leur complicité, ils se marient tous les deux la même année (1893) avec deux sœurs dont les parents sont familiers des Touchard de Sillé-le-Guillaume ; Léon avec Adolphine Renée DOBREMER, 18 ans, et Georges avec sa sœur Renée Adolphine, 17 ans.(3)

Le dernier des garçons Touchard, Joseph Augustin, deviendra comme son père un médecin réputé, et sera, comme lui, décoré de la Légion d’Honneur (le père en 1881, le fils 40 ans plus tard).

Le Petit Parisien 1889

C’est en 1886 que les parcours des deux frères aînés divergent. Si Georges continue le droit et devient un avocat respecté à la Cours d’Appel de Paris, Léon lui décide de changer brusquement de cap et rentre en 1887 au « Siècle(4) » comme secrétaire de rédaction.

Deux ans plus tard il devient rédacteur au « Petit-Parisien(5) ». Il faut croire qu’il y trouve son bonheur, il ne quittera plus ce journal jusqu’à son décès en 1927. Rapidement il gravit tous les échelons jusqu’en devenir le Rédacteur en Chef en 1893, poste qu’il gardera jusqu’au bout. Sous son impulsion Le Petit Parisien publia des grands reportages à travers le monde, signés Henri Béraud, Albert Londres ou Louis Roubaud.

Habitant Paris (12 rue Puvis de Chavannes, dans le 17ème Arrondissement), il acquiert vers 1920 la propriété dite « La Vallée » dans la rue de Soisy à Eaubonne, numéro 6, et en cela il fait comme bon nombre d’autres hommes et femmes de presse, d’artistes et de dramaturges qui venaient en villégiature dans notre village le temps d’un été ou, chemin de fer aidant, le temps d’un week-end, voire (comme Armand de Vismes) résident à Eaubonne en permanence et prennent le train pour aller travailler à Paris.

En tant que Rédacteur en chef du "Petit-Parisien", Touchard était le patron du journaliste Albert Londres. C'est Touchard qui finança ses expéditions, et l'encouragea, notamment, à poursuivre ses articles sur le bagne de Cayenne et le cas d'Eugène Dieudonné. C'est l'effort de Londres et du Petit-Parisien qui permit la libérations anticipé de Dieudonné et son retour en France, ainsi que la fermeture du bagne. Malheureusement Touchard est mort à peine 2 mois avant le retour de Dieudonné à Marseille le 28 octobre 1927, et n'a pas pu le rencontrer en personne.

La Vallée

Résidence "La Vallée"

Entre Voisins

Dans sa maison « La Vallée », 6 rue de Soisy, Touchard côtoyait plusieurs autres Eaubonnais illustres et contemporains, notamment :

• Son voisin immédiat dans l’ancien pavillon de Saint-Lambert, devenu aujourd’hui le « château Philipson », Charles-Vincent OCAMPO et son fils Camilo (voir l'article qui lui est consacré sur ce site), qui y réunissent une collection impressionnante d’œuvres d’art dont ils feront plus tard don à la Ville de Paris (aujourd’hui logée au Petit-Palais),

• Deux cents mètres plus loin du même côté de la rue de Soisy, au lieu-dit Le Mont d’Eaubonne, Armand DE VISMES (qui mourra en 1928) et son épouse Alice de WEGMANN dite « Vega »

• de l’autre côté de la rue de Soisy, sur l’avenue de Paris, la famille MAGNE, au numéro 40 (maison aujourd’hui disparue) : Lucien, décédé en 1916, et son fils Henri Marcel Magne,

• Côté nord de l’avenue de Paris, la famille MIRABAUD dans leur château (aujourd’hui clinique) : Jeanne Mirabaud, la fille de Paul Barthélémy, et le mari de celle-ci Robert DE BILLY, ami intime de Robert Proust,

• Et le « château des Cèdres », mitoyen avec le parc Mirabaud, propriété de l’architecte HARRET, et qui servit pendant la Grande Guerre comme Quartier Général au 45 Régiment d’Artillerie.

• Sans oublier le château du « Val Joli », construit et habité par la famille MARRET, notamment Marie Victor Charles Marret qui était Maire d’Eaubonne à l’époque.

• Touchard est décédé trop tôt pour avoir connu Robert SALMON, PDG de France-Soir, propriétaire des « Dures-Terres » limitrophes du Parc Mirabaud côté Soisy, venu à Eaubonne dans les années 1950.

Les Ecuries

les écuries de La Vallée

Léon Tochard et Adolphine Dobremer ont eu un fils : Léon Alfred, né le 12 novembre 1895 à Paris 8ème Arrondissement où les Touchard avaient leur résidence habituelle. Le petit Léon grandit avec eux à Paris et à Eaubonne. Lors d’un séjour à « La Vallée » il rencontre une des trois filles de Charles Marret, Marie-Josèphe "Marcelle", de cinq ans sa cadette. Ils se marient à Paris en janvier 1921. Après la cérémonie religieuse, les nombreux amis des deux familles se sont réunis chez Mme Charles Marret, rue Alphonse-de-Neuville, « où a eu lieu une très brillante réception » nous précise Le Figaro du jeudi 13 Janvier.

Le couple aura 3 enfants : Marie-Louise, André et Denise. Léon fils travaillera comme courtier-juré en assurances (comme son beau-père)
 après avoir été décoré de la Croix de Guerre française et la Croix de Guerre belge pour ses engagements pendant la Grande Guerre.


Quant à Léon père, qui continue à travailler à la rédaction du Petit-Parisien malgré son âge, il tombe subitement malade en août 1927 et, suite à une opération chirurgicale après trois semaines de maladie, décède en sa propriété "La Vallée" à Eaubonne, le 4 août. Ses obsèques auront lieu le 6 août en l’église Sainte-Marie d’Eaubonne et il sera inhumé à Versailles.

- Paul MORSE, janvier 2020

Notes

Cliquez ici pour voir l'arbre généalogique des Touchard et des Marret

1)   À la limite nord du Département de la Sarthe, à 30 km de Sillé-le-Guillaume.

2)   Entre Sillé-le-Guillaume et Le Mans.

3)   Ce n’est pas une faute de saisie, l’aînée s’appelle bien Adolphine Renée Louise Marie et sa sœur Renée Juliette Victoire Adolphine. C’est une tradition familiale depuis trois générations, côté maternel, que les filles portent le prénom Adolphine. On imagine la confusion que cela peut engendrer...

4)  « Journal politique, littéraire et d’économie sociale », un quotidien français qui paraît à Paris de 1836 à 1932. De tendance monarchiste constitutionnelle

5)  fondé par le député Louis Andrieux en 1876, il fut l'un des principaux journaux sous la IIIe République.