Le Docteur Jean-Joseph PEYROT

Qu'ont en commun les villes de Périgueux (Dordogne) et d'Eaubonne ? L'une et l’autre ont donné à une voie de leur ville le nom du Dr PEYROT (Professeur Peyrot pour Périgueux, Docteur Peyrot pour Eaubonne).

Le choix de Périgueux est évident : Jean-Joseph y est né en 1843, y a grandi et fait ses études au lycée. Plus tard il est élu Sénateur de la Dordogne (entre 1903 et 1907), et a acheté, comme résidence secondaire, le château de Château-l'Évêque à quelque douze kilomètres au nord de la ville.

Mais pourquoi Eaubonne ? Pour comprendre pourquoi, il faut retracer l'histoire du Docteur.

Jean-Joseph Peyrot

Jean-Joseph naît donc le 12 novembre 1843 à Périgueux où son père, maître charpentier et franc-maçon, s'est dépêché de se marier avec Léonarde Gaullet (1), de 20 ans sa cadette (lui avait 38 ans, elle 18) six mois avant la naissance1 de Jean-Joseph, aîné de trois enfants du couple. (Sa sœur Marie naîtra en 1846, son frère Joseph Georges en 1852).

En 1862, Jean Joseph « monte » à Paris où il prépare d’abord, au Lycée Saint-Louis, l’École Polytechnique. Mais il change de parcours pour étudier la médecine, d'abord à Montpellier, ensuite à Paris. Même loin de son Périgord natal , il fréquente à Paris la Société Amicale des Périgourdins, dite « La Truffe », dont il assure la présidence pendant vingt ans.(2) Il s'y lie d'amitié avec un compatriote de la Dordogne, Samuel Pozzi(3) originaire de Bergerac, destiné à devenir un célèbre médecin gynécologue, et comme lui deviendra Sénateur de la Dordogne.

Interne des Hôpitaux de Paris (comme Pozzi), il sert comme ambulancier pendant la guerre franco-prussienne de 1870, puis devient docteur en 1876, agrégé en 1880. Entre 1878 et 1906 il poursuit une brillante carrière comme chirurgien des Hôpitaux de Paris (Bicêtre, Tenon, Lariboisière) et en tant que Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris. En 1877 - 1878, il est chargé de mission par le gouvernement, lors de la guerre russo-turque, dans le but d'étudier le fonctionnement des ambulances. Il soigne les blessés et fait de nombreuses observations sur les blessures par armes à feu.(4)

En reconnaissance de sa carrière, Jean-Joseph est nommé, en 1886, Chevalier de la Légion d'Honneur, puis, en 1906, élevé au grade de Commandeur. Il est élu à l'Académie de Médecine en 1898.

Il est élu sénateur de la Dordogne, pour la première fois, le 4 janvier 1903, à 59 ans, en remplacement du docteur Samuel Pozzi, ayant obtenu, au troisième tour, 562 voix sur 1.128 votants. Il est réélu, au premier tour, le 7 janvier 1912 par 569 voix sur 1.116 votants (5). Avant 1903 il n'avait eu aucun mandat électif. Au Sénat, il fut membre du groupe de la gauche démocratique, membre (avec Pozzi) du conseil supérieur de l'Alliance Républicaine Démocratique.(6)

Ses principales interventions au Sénat concernent : le travail des femmes et des enfants dans les établissements industriels (1904), l'emploi des composés de plomb en peinture (1906), le budget de la Marine (1907), les budgets de la Guerre de trois exercices (1908, 1910, 1911), les habitations à bon marché (1912).(7)

Jean-Joseph Peyrot

Auteur de 5 livres sur la médecine, y compris le volume III du « Manuel de Pathologie Externe – maladies des régions : cou, poitrine, abdomen » (G. Masson éditeur. Paris 1887) dont la renommée va se propager jusqu'aux États-Unis.


Autour de 1890, il s'établit au n° 33 de la rue La Fayette (Paris 9ème) qui sera son lieu de résidence principale jusqu'à son décès, mais acquiert deux autres propriétés : l'une en Dordogne (le château de Château-L'Évêque cité plus haut), l'autre à Eaubonne.



En effet, vers 1895 il achète au notaire (et maire de Franconville entre 1843 et 1873) François Chenel une vaste propriété (8) de 3 hectares et demi1 dans le « Parc Neuf ». Il s'agit du Manoir de la Cerisaie (nom qui lui était attribué par le propriétaire précédant, Mme veuve Tarbé des Sablons, mère d'Edmond) et les lots qui l'entourent au nord et à l'ouest, formant un grand « V », et qui sera presque identique au terrain acheté en 1952 par la société des Castors pour y construire leur 84 pavillons, bordé à l'est par la route de Montlignon jusqu'au rond-point du Souvenir Français, au nord-ouest par la rue Marcel-Sembat, et au sud par la propriété de Louis Masson. L'entrée du domaine se faisait par l'impasse (devenue rue) des jardins, mais l'adresse officielle (comme l'atteste la liste des électeurs d'Eaubonne en 1903 (9) était au n° 7 de la route de Montlignon, en face du château du Bon Accueil habité par Arthur Langlois puis par Otto Baetge. Son voisin au sud était Jules Huyot, Maire d'Eaubonne de 1900 à 1904 ; le Dr Peyrot était d'ailleurs un de ses conseillers municipaux.

Entrée du Manoir de la Cerisaie
l'entrée du "Manoir de la Cérisaie" (disparue) rue des jardins à Eaubonne

Jean-Joseph était venu à Eaubonne à cette époque comme beaucoup d'autres notables eaubonnais (Huyot, Charles Marret, Armand de Visme...) à la recherche d'un ilot de verdure et de calme très accessible depuis Paris par le train, même si l'essentiel de leur activité restait parisienne. Nous ne connaissons pas la fréquence de ses villégiatures, mais compte tenu de son investissement dans la vie locale, son intérêt pour Eaubonne était plus que passager.

A Paris, dans les années 1880, il fait la connaissance d’Émilie Georgina Scellier, née à Paris en 1849, fille d'un tailleur prénommé Jean-François et d'Anathalie Degris. Peut-être que Émilie et Jean-Joseph vivaient déjà en couple, car lors de leur mariage le 24 juin 1893 (10) à Eaubonne, Émilie donne comme adresse le 7 de la route de Montlignon1 c'est-à-dire la Manoir de la Cerisaie qu'ils occupent ensuite. Le mariage civil a été conduit par Otto Baetge, son voisin d'en face, ès qualités de Maire Adjoint d'Eaubonne. Parmi les témoins au mariage, nous remarquons Gustave Lorey, médecin et ambulancier comme lui pendant la guerre franco-prussienne ; et Ferdinand Sarrien, avocat et Député de Saône-et-Loire, qui sera le 62ème Président du Conseil des Ministres (c'est-à-dire chef du gouvernement) en 1906, précédant en cela Georges Clemenceau.


Il est possible qu'Émilie Georgina passe plus de temps à Eaubonne que Jean-Joseph. On retrouve une mention de la « Veuve Peyrot » en 1934, vraisemblablement à la date de son décès, quand le Manoir et les terres de la Cerisaie sont transmis par héritage et en indivision à ses deux enfants adoptés, à savoir : sa nièce Gabrielle (fille aînée de son frère Raphaël, épouse de Bernard (dit Boka Osima) Larroque, Préfet du Loir-et-Cher) et son neveu André Adrien Albert, fils de son frère Gabriel (11). André avait une fille Florance, mais pour la sucession d'Emilie les enfants adoptés étaient considérés sans héritiers. Pour étayer cette remarque: une maison qu'avait achetée Georgina à Dieppe en 1929 est tombée en déshérence(12) en 2009 faute de descendants connus,(13) et récupérée par la ville dans le cadre d'un projet immobilier. En ce qui concerne le Manoir de la Cerisaie, les matrices cadastrales d'Eaubonne mentionnent la transmission des biens en indivision à Gabrielle et André Scellier en 1934 (14). Ils les revendent à la « Société Sportive du Printemps » des magasins du même nom, qui s'en sert comme terrain de détente pour ses employés. Ce terrain est acquis en 1952 par la SFR (Société Française de Radiotéléphonie) pour leurs employés « Castors » qui y construisent leurs maisons.

Quant à Jean-Joseph, il ne figure plus sur la liste des électeurs d'Eaubonne à partir de 1910. Malade à partir de 1916, il meurt dans son appartement parisien le 11 novembre 1917, et est inhumé à Périgueux.

En 1927 nous retrouvons Émilie Georgina à Eaubonne, le 14 août, en présence du Préfet de Seine-et-Oise, pour l'attribution du nom du « Dr Peyrot » à une section de la route de Montlignon entre la rue George-V et la rue Tarbé des Sablons (d'abord baptisée « rue du Maroc » entre 1914 et 1927), voie qui bordait à l'est sa propriété de la Cerisaie, suite à une délibération du Conseil Municipal du 3 juillet 1926.

Voilà donc comment la ville d'Eaubonne rejoint la ville de Périgueux pour honorer la mémoire du Dr Jean-Joseph PEYROT.

Paul MORSE, juin 2014 – novembre 2015

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Notes:

Pour plus d'information, notamment sur sa jeunesse à Périgueux, voir l'article nécrologique qui lui consacra son ami le Dr Chaume dans le « Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord » Année 1918, Tome XLV, pages 71 – 73.

1    le 12 juin 1843 à Périgueux (Mariages 1843, 5Mi 21719_008, vue 69)
2   voir l'article de Bernard Lachaise dans le « Dictionnaire des parlementaires d'Aquitaine sous la Troisième République » Presses Universitaires de Bordeaux 1988, pages 112 - 113
3   dont la vie mérite à elle seule plusieurs volumes... Médecin des « stars » de l'époque, ami et amant de Sarah Bernhardt, (voir à ce propos le livre de Caroline de Costa et Francesca Miller « Sarah Berhardt et le Dr Pozzi »), il servit à Marcel Proust de modèle pour le Dr Cottard de la «Recherche », Il eut une fin tragique en 1918.
4  « Dictionnaire des Parlementaires français », Jean Jolly (1960/1977):
5   idem
6   Lachaise, op cit.
7   Jolly op cit.
8   Matrices cadastrales, folio nominatif. n° 1112, Archives Municipales d'Eaubonne
9   Archives Municipales d'Eaubonne
10   Archives Départementales du Val d'Oise, NMD Eaubonne 1885 – 1894, 3E57 20, vues 271-272
11   voir le jugement du Tribunal Civil de la Seine du 1er novembre 1923. André a alors presque 30 ans.
12   plus exactement en « bien sans maître »
13   Voir la délibération du Conseil Municipal de Dieppe du 17 décembre 2009
14   Matrices Cadastrales d'Eaubonne, folio nominatif 1292, Archives Municipales d'Eaubonne