Otto Baetge

Comment un jeune pédagogue allemand a-t-il pu s’installer en France dans les années 1860, en pleine période de tension franco-allemande, et s’imposer comme promoteur d’une pédagogie nouvelle visant à éduquer et intégrer des enfants handicapés ou socialement inadaptés, pédagogie qui, associée avec la pratique d'Edouard Séguin qu'il côtoie à Gentilly, sera repris plus tard par Maria Montessori.

Comment ce personnage est-il arrivé à Eaubonne, comment a-t-il pu s’intégrer dans la vie de notre Commune au point d’en devenir premier Adjoint au Maire et un ses principaux acteurs économiques dans la deuxième moitié du XIXe siècle ?

L'institution de Gentilly

Otto Baetge

Otto Frantz Hermann Baetge (ou Bätge) naît le 26 août 1839 à Brunswick (Braunschweig) de parents allemands. Son père était maître cordonnier. À cette époque, le Duché de Braunschweig-Lunebourg, formé par le Congrès de Vienne en 1814, est un état indépendant qui ne rejoindra l'Empire Allemand qu'en 1871.

Otto a sans doute suivi des études en France, car nous le retrouvons « étranger naturalisé français » à 23 ans, en 1862, date à laquelle il entre comme professeur dans l'Institution d’Hippolyte Vallée, fondateur d'une école pour « enfants idiots de la classe aisée », rue Bensérade à Gentilly en 1847. C'est dans cette institution qu'Otto développe et met en pratique ses théories sur l’éducation des enfants retardés : activités d'ergothérapie, musique, activités sportives, hydrothérapie, apprentissage de la vie en collectivité, intégration dans la société malgré un handicap. Il prétend pouvoir rendre un enfant « idiot » apte à mener une vie quasi-normale et être utile à la société tout en étant moins une charge pour sa famille(1).

Son succès semble assuré, car sa réputation dans les milieux bourgeois parisiens est entretenue par les journaux de l'époque. Otto soigne sa réputation, donne des conférences dans le milieu médical (à la Salpêtrière, par exemple) et se fait inviter dans les salons à la mode. Le Figaro publie régulièrement des annonces pour l'institution Vallée, en mettant en avant son innovation pédagogique.

C'est lors de ce premier séjour à l'Institution Vallée qu'il rencontre Thérèse Bredeau, venue de sa Nièvre natale travailler, elle aussi, à l'Institution comme aide soignante. Ils se marient en mars 1864 à la mairie de Gentilly. Mais le couple quitte l'Institution en 1865, car Otto cherche un travail mieux rémunéré.

En avril 1869, Hippolyte Vallée décide de se retirer. Il retrouve Otto Baetge et décide de lui céder l'Institution moyennant une location annuelle, d'abord de 12 000, puis de 17 000 francs (environ 65 000 euros actuels).  

la guerre franco-prussienne 1870-1871

Pendant la guerre franco-prussienne de 1870-71, Otto Baetge déménage ses élèves à la Ferté-Macé pour les éloigner des ménaces de la guerre. Mais les habitants de la Ferté, voyant arriver ses affaires à la gare avec son nom à consonance allemande écrit en lettres gothiques sur ses valises, l’ont pris pour un espion allemand et l’ont chassé de la ville.

Il n’a d’autre choix que de se réfugier alors en Angleterre. On le retrouve en 1871 comme un des trois « assistants » dans un pensionnat, la Crouch End School, située entre Highgate et Hornsey, dans la proche banlieue nord de Londres. Cette école accueille 32 garçons de 7 à 18 ans en pensionnat, la plupart venant de familles anglaises (mais aussi un jeune français et deux suisses). Elle est dirigée par William Vincent et sa femme Mary. Le recensement ne signale pas la présence de Thérèse Bredeau à ses côtés.

Après la guerre et le traité de Francfort, signé en mai 1871, Otto Baetge retrouve son ancienne école, en compagnie d’une cinquantaine de pensionnaires. Il reprend ses activités de pédagogue et d'éducateur. Le 14 juillet 1880, il est nommé officier de l'Instruction Publique après avoir été pendant 5 ans officier de l'Académie. L’année suivante il rejoint la Société Anthropologique de Paris (SAP).

Vallée prend sa retraite en 1871 à Nice et y décède en 1882, sans héritiers. Il veut en laisser une partie de ses biens pour la création d'un nouvel établissement en faveur des enfants arriérés pauvres. Aussi lègue-t-il au département de la Seine l'ensemble des propriétés qu'il possède à Gentilly, et l' « institution qui sera la continuation de celle qu' [il a] fondée pour les enfants de la classe aisée et que dirigent aujourd'hui M. et Mme Otto Baetge »(1). Le préfet du département accepte le legs le 17 mars 1886, mais donne congé le 13 avril 1887 aux époux Baetge pour le 15 avril 1888.

Otto Baetge et sa femme contestent cette mise en congé devant le Tribunal Civil de la Seine, qui les déboute. Mais, aux termes d'un arrangement conclu entre le tribunal et Otto Baetge, le 7 mai 1889, ce dernier obtient, pour déménager, un délai de six mois, à partir du 1er janvier 1889, soit jusqu'au 1er juillet pour laisser la place au conseil général de la Seine, qui souhaite y installer un asile pour enfants pauvres.

La famille Baetge à Eaubonne

Après le décès de Hippolyte Vallée en 1882, Otto et sa femme sont obligés, donc, au terme d’une longue procédure, de quitter Gentilly en 1889, et de trouver dans les six mois une nouvelle terre d’accueil. C'est la rencontre quasi fortuite avec Edmond Tarbé des Sablons et Arthur Langlois, qui amène le couple Baetge à occuper le Petit-Château d'Eaubonne et à y loger ses pensionnaires en juillet 1889.

Le nom d’Otto Baetge apparaît pour la première fois dans les archives de la ville en décembre 1889 quand il est élu conseiller municipal d'Eaubonne et ordonnateur du Bureau de Bienfaisance sous le deuxième mandat de Charles Goguel (1888-1892). Le fait qu'il soit d'origine allemande ne plaît pas à tout le monde : le souvenir de l'occupation d'Eaubonne par des troupes Prussiennes en 1870-71 est encore dans les mémoires. Henri Blanc, fils de Jean-Pierre Benoît Blanc (qui sera aussi maire d'Eaubonne en 1904) et gendre de Théophile Mandart, conseiller municipal dans la même équipe que Baetge, écrit au préfet de Seine-et-Oise pour s'en plaindre. Le 9 février 1890, le Conseil fait état de la réponse du préfet :

« Monsieur le maire notifie au Conseil municipal la décision du Conseil de la Préfecture en date du 25 janvier 1890, en vertu de laquelle la protestation de Monsieur Blanc, fils, contre l'élection de Monsieur Otto Baetge a été frappée de déchéance »

Au cours du deuxième mandat de Charles Goguel (1888-1892) il est élu premier adjoint au maire, le 15 mai 1890, par 9 voix contre 3, succédant à Charles Meunier. La même année, il est élu suppléant aux élections sénatoriales. En 1896, il ne se représente plus. Pendant toute cette période de sept ans, son nom est systématiquement transcrit dans les registres du conseil municipal sous la forme Otto-Baetge, comme s'il s'agissait d'un patronyme double.

Le couple n'a pas d'enfants. En 1901, Otto Baetge prend sa retraite (il a 62 ans, son épouse 69). Il quitte le Petit-Château, d'abord pour une maison au 87, rue de la Gare (actuelle rue du Général-Leclerc), puis pour le château du Bon Accueil (aujourd’hui disparu et remplacé en 2001 par un nouveau bâtiment presque à l’identique), dans l’actuelle rue du Dr. Peyrot.

signature d'Otto Baetge

Le château du Bon Accueil

château du Bon Accueil

Ce château a été construit sur un terrain appelé le « potager du Petit-Château », vendu par Ange Le Normand en 1802 à Pierre-Louis Ollivier Descloseaux. Ensuite il passe à partir de 1849 dans les mains de la nièce de Descloseaux le Comte d'Argence (maire d'Eaubonne de 1821 à 1824), puis en 1868 de George Goguel (maire de 1886 à 1896). En 1880, Auguste Lippmann l'échange contre l'hôtel de Mézières, et le vend a Henri-Eugène Cocqueteaux (maire de 1881 à 1884). L'année d'après (1882) celui-ci le vend à un architecte parisien Jean-François Boizot, qui le cède à son tour à Otto Baetge en 1890. A la mort de celui-ci en 1907, sans héritiers, le château revient à Arthur Langlois.

traces de son passage à Eaubonne

Otto décède à Eaubonne, le 4 juillet 1907, à 67 ans et son épouse, le 28 janvier 1910. Ils sont enterrés ensemble au cimetière d'Eaubonne, juste à côté de la tombe des frères Langlois, Arthur et Chéry . Ses biens reviennent à son épouse Thérèse, mais quand elle décède à son tour en 1910, sans postérité, ils sont transférés aux membres de la famille Langlois (y compris le château du Bon Accueil).

Contrairement à son associé Arthur Langlois, qui a reçu la Légion d'honneur en 1908, pour son rôle dans l'Institution des Enfants Arriérés, Otto Baetge n'a jamais été décoré de la sorte. Il a pourtant passé quarante-cinq ans de sa vie, dont vingt à Eaubonne, à œuvrer pour l'enfance inadaptée. Cela étant, les traces de son passage à Eaubonne sont quasi-inexistantes : à l'exception de sa pierre tombale, seule une salle de l’ancienne Maison des Associations (dans l'espace Lucien Magne) porte son nom, depuis 2016 (ex salle n°1).

notes

1 Pour le récit complet de cette affaire, cf. Appropriation des bâtiments sis à Gentilly et provenant du legs Vallée. Extrait du Bulletin municipal de la Ville de Paris, mardi 31 décembre 1889, consultable sur le site de Gallica