Edmond et Eugène TARBÉ des SABLONS

Les frères "touche-à-tout

 (ce texte résume et complète le chapitre sur la famille Tarbé à Eaubonne et leurs origines dans mon livre sur le Petit-Château d'Eaubonne, pages 124 à 136)

Peu d’Eaubonnais sont aussi représentatifs de l’esprit d’ouverture et d’aventure qui caractérise la deuxième moitié du XIXème siècle que ces deux enfants survivants de la famille de Denis Tarbé des Sablons et Louise Pauline Andryane de la Chapêlle.

Des cinq enfants de ce couple, deux meurent en bas âge, un troisième à 19 ans. Restent donc deux garçons : « Edmond » Louis Joseph né à Paris en 1838 et Marie Louis « Eugène » né lui aussi à Paris en 1846. La famille Tarbé des Sablons, comme beaucoup de familles bourgeoises de cette époque, ont un domicile parisien (dans ce cas 15 rue des Mathurins dans le 9ème Arrondissement) et un lieu de villégiature dans les environs de Paris. Leur grand-mère ayant hérité du Petit-Château d’Eaubonne détenu auparavant par son frère le Comte Merlin de Douai, ce sera donc à Eaubonne.

rue Tarbé des Sablons, Eaubonne

Les deux garçons grandissent alors à la fois dans Paris et à Eaubonne, et restent très attachés à ce deuxième lieu, surtout Edmond, où ils passent leurs vacances d’été. Les Tarbé des Sablons sont alors parmi les plus grand propriétaires de la Ville d’Eaubonne, notamment par les dix hectares de jardins autour du Petit-Château. Mme Tarbé, fervente catholique, est une des bienfaitrices de la Ville, elle aide notamment les sœurs de la Sainte Enfance à installer à Eaubonne un pensionnat chargé de l’instruction des filles, situé au n° 4 de l’actuelle rue Jeanne Robillon, rue qui portera, à partir de 1891, le nom de Tarbé des Sablons Il deviendra, beaucoup plus tard, l’école Sainte-Marguerite.

Edmond Tarbé des Sablons jeune

Edmond est tour à tour écrivain et dramaturge, critique musical, journaliste, homme d'affaires (un journal, les chemins de fer), homme politique, Maire d’Eaubonne de 1865 à 1871, et fondateur en 1868 de la Lyre Amicale d’Eaubonne(1) (toujours en activité plus de 150 ans après).


Edmond Tarbé des Sablons, gravure d'Etienne Carjat d'après photo

Eugène Tarbé des Sablons jeune

Eugène est chroniqueur musical et compositeur, journaliste-reporteur (pour le journal de son frère), également investisseur dans les chemins de fer de banlieue, aérostier pendant l’occupation de Paris par les Prussiens en 1870, et, chose plutôt insolite, vice-consul de l'Uruguay à Dieppe, en 1872…


Eugène Tarbé des Sablons, caricature par Etienne Carjat

 


Tous les deux connaîtront des fins tragiques : Eugène disparaît le premier, emporté par une « maladie douloureuse » en 1876, Edmond est retrouvé mort le 14 décembre 1900 dans des conditions mystérieuses… Il ne laissera pas de descendance, mais aura auparavant adopté les deux enfants illégitimes de son frère quand il est mort 24 ans plus tôt. Voici quelques détails sur leurs vies :

Edmond Joseph Louis Tarbé des Sablons, 1838 - 1900

en-tête Le Gaulois


L’homme de presse

Après avoir tenu la chronique musicale de L'époque et du Figaro et publié quelques romans, il fonde avec Henry de Pène, le 5 juillet 1868, le quotidien Le Gaulois, dont il prend la direction jusqu'en 1879, date à laquelle il vendra l'affaire à Arthur Meyer.
Le Gaulois est un journal littéraire et politique. À ses début, Tarbé s'attache les meilleurs rédacteurs pour des articles de fond : Émile Zola, Léon Daudet, Barbey d’Aurevilly, Guy de Maupassant, Paul Bourget, Octave Mirbeau y collaborent. Mais il verse également dans les mondanités et n’hésite pas à se moquer de ses concurrents.

L'entreprise connaît un succès immédiat. Il tire entre 13 et 15 000 exemplaires, juste derrière Le Figaro, leader de la diffusion des journaux parisiens de la fin du XIXème siècle. C'est l’organe de presse de la « bonne société ». Il est de sensibilité monarchiste et anti-républicaine.

Pendant la guerre Franco-Prussienne (1870-1871), Edmond déménage le siège de son journal d'abord à Bruxelles où il s'installe, puis plus tard à Versailles. Dès l’entrée en guerre, Le Gaulois soutient Napoléon III et il fait partie des 28 journaux protestataires réprimés par la Commune en 1871. Le 2 mars 1878, Edmond Tarbé, est resté le seul des deux créateurs du journal, puisque De Pène est passé à Paris-Journal en 1871. Puis en juillet 1879, Edmond vend le quotidien à Arthur Meyer, qui en fait un journal légitimiste et conservateur. Il continuera à être tiré à 30 000 exemplaires, sous différents patrons, dont le dernier, le milliardaire François Coty, le fusionne en 1929, avec Le Figaro, autre titre qu'il possède.


L'écrivain et dramaturge

Parallèlement à sa carrière de journaliste, Edmond publie plusieurs romans et pièces de théâtre, dont certains ont beaucoup de succès, sous son nom ou sous un pseudonyme :

  • Les Drames parisiens (sous le nom de Jacques Lefèvre), Paris, E. Lachaud, 1875 
  • Barbe grise, Paris, P. Ollendorff, 1884 
  • Bernard l’assassin, Paris, C. Lévy, 1886
  • Le Roman d’un crime, Paris, C. Lévy, 1887 
  • Césarée, Paris, C. Lévy, 1891 
  • L’Histoire d’Angèle Valoy, Paris, C. Lévy, 1892 
  • Le Crime d’Auteuil, Paris, C. Lévy, 1892
  • Monsieur de Morat, pièce en 1 acte, Paris, C. Lévy, 1886. Théâtre du Vaudeville, 1887
  • Martyre !, drame en cinq actes, avec Adolphe d’Ennery, Paris, Ed. Billaudot, 1954 

Maire d'Eaubonne 1865 - 1871

Edmond tarbé des Sablons, Maire d'Eaubonne

En 1865, Edmond est nommé maire d'Eaubonne(2), succédant à Auguste Magne pour un mandat de six ans. A gauche, son portrait officiel. Si les conseillers municipaux sont élus au suffrage universel (masculin), et non plus censitaire, ce qui était le cas auparavant, le maire continue à être désigné par le Préfet (il faudra attendre le 14 avril 1871 pour que le premier magistrat communal soit élu par le conseil municipal, parmi ses membres).

Les archives de la Ville ont conservé les délibérations du conseil municipal de la première année de sa mandature. Mais les registres suivants (mars 1866-1871) ont disparu lors de l'occupation d'Eaubonne par les troupes prussiennes pendant la guerre de 1870-1871. Au début de son mandat, Edmond réunit le conseil environ une fois par mois pour traiter des finances de la commune et des problèmes de voirie et surtout, du salaire de l'instituteur...

Sans doute est-il fier de sa charge publique. En tout cas, il en parle souvent. Maxime Rude dit de lui : « Il ne perdait aucune occasion de le faire savoir. Quand on discutait autour de la table de rédaction [du journal « Le Gaulois »] quelque question administrative, il fallait entendre de quel ton il disait : « Moi, Monsieur, dans ma commune... »(3).

C'est pendant son mandat que la commune est occupée par des troupes prussiennes. Edmond, comme nous l'avons vu, se réfugie à Bruxelles, amenant avec lui la rédaction du Gaulois.

Le tournant des années 1886-1887

Cette période marque un tournant dans l'histoire du Petit-Château d'Eaubonne. En 1886, Edmond passe la main. Il n'est plus maire d'Eaubonne depuis 1871 et n'intervient plus dans les affaires de la commune. Il cède à J. Loys la direction de la Lyre Amicale d'Eaubonne, qu'il a créée 18 ans plus tôt. On peut supposer qu'à partir de 1886, Edmond Tarbé des Sablons n'habite plus le Petit-Château.

En 1887, trois événements le poussent à abandonner définitivement ses attaches à Eaubonne : le décès de sa mère, son mariage avec Mélanie Kauffmann, et sa rencontre avec Otto Baetge et son Institution des Enfants Arriérés.

La cession du Petit-Château et l’Accueil de l'Institution Langlois

Le 29 juin 1894, Edmond Tarbé des Sablons vend le Petit-Château et son parc à Arthur Langlois et à Otto Baetge pour y loger leur « Institution des Enfants Arriérés ». Cette cession marque la fin d'une période de presque un siècle pendant laquelle le Petit-Château a servi de résidence secondaire à trois familles unies par des liens du sang : les Gohier, Merlin de Douai et Tarbé des Sablons.

Journaliste curieux et averti, Edmond est au fait de tous les bruissements de la bonne société parisienne. En 1886 il ne peut ignorer le dilemme d'Otto Baetge, éducateur et pédagogue d'origine allemande, qui se fait inviter dans tous les salons pour plaider sa cause, car jusqu'à là, Otto Baetge dirigeait l'Institution Vallée (fondée par Hippolyte Vallée) à Gentilly, mais à la mort de Hippolyte en 1882, celle-ci est léguée au Département de la Seine qui décide d'en changer l'orientation, et donne congé à Baetge pour 1888.

Otto Baetge cherche donc un lieu pour accueillir son institution et ses 50 pensionnaires, et l'idée de leur mettre à disposition le Petit-Château germe dans l'esprit d'Edmond Tarbé des Sablons. L'institution, qui change alors de nom, s'installe dans le bâtiment du Petit-Château, celui du château du Bon Accueil, et dans les dépendances et le parc de 10 hectares qui les entoure.
Auparavant, Baetge avait rencontré Arthur Langlois, à l'époque modeste professeur des collèges à Clermont de l'Oise (année 1886 – 1887). Arthur saisit tout de suite l’opportunité de monter une affaire rentable, et se fait fort d'en assurer le financement.

En effet, l'institution d'Otto Baetge accueillait exclusivement des enfants de familles aisées, et faisait payer le prix fort en fonction de leurs moyens. Avec Arthur, ils conçoivent une Institution qui serait à la fois innovatrice en terme de pédagogie mais aussi très rentable financièrement. Arthur en devient le co-directeur, et monte un véritable « business plan » de financement, d'investissement et de communication qui préfigurent une entreprise de service performante du XXème siècle.

Après 5 ans de location du Petit-Château, Arthur Langlois confie à un notaire de Clermont de l'Oise, Maître Plivard (fils) le soin de réunir un tour de table d'investisseurs locaux, notables et gros fermiers de l'Oise et de la Somme, attirés par la promesse d'un placement lucratif. Plivard réunit la somme de 375 000 Francs de l'époque (soit près de 2 millions d'Euros actuels), apportée par 10 investisseurs à qui on promet un remboursement en 10 ans, avec des intérêts de 4,50% par an, payables par trimestres. Un peu plus que la moitié de la somme (200 000 Francs) sert à acheter à Edmond Tarbé des Sablons le Petit-Château, ses dépendances et sa chapelle, sa tour et son mobilier, sis sur 10 hectares de terrain. La somme restant servira à la construction de bâtiments propres à l'Institution, dont la plupart sont encore visibles aujourd'hui.

Un mariage tardif

Mélanie Kauffmann

Edmond Tarbé des Sablons reste célibataire, comme son frère Eugène. Mais à 50 ans, il décide enfin de se marier, peut-être pour offrir une meilleure vie familiale à ses deux enfants adoptifs, les jumeaux Edmond Louis et Eugénie, âgés alors de 10 ans, enfants illégitimes de son frère Eugène, ou tout simplement parce qu'il est désormais seul dans son Petit-Château, sans frère et sœur, seul survivant de la famille et sans sa mère, qui vient de mourir, il y a trois mois.

Comme sa mère n’est plus là pour s’opposer à une union avec une femme juive, il se marie avec celle qui est sa maîtresse depuis les années 1860, Mélanie Kauffmann, 49 ans, le 25 mai 1887, à la mairie du 9e arrondissement. Ils s'installent dans l'hôtel particulier de Mélanie, 11 rue Ballu. Mais le bonheur conjugal ne durera que treize ans : les deux mourront tragiquement en 1900.



Mélanie Kauffmann

La fin tragique d'Edmond et de Mélanie

La vie de couple d'Edmond et Mélanie connaît une fin tragique : douze ans et demi après leur mariage, la mort les emporte tous les deux le même jour, le matin du 13 décembre 1900, dans leur appartement parisien de la rue Ballu. Vers 10 h 30, leur domestique trouve Edmond dans le lit conjugal, soutenant la tête de son épouse, qui vomit du sang dans un bassin. À la demande d'Edmond, elle se retire, mais revient une heure après. Elle entre à nouveau dans la chambre ; Madame ne respire plus. Edmond est assis dans son fauteuil, mais inconscient. Malgré leurs efforts, les médecins appelés par la domestique n'arrivent pas à les ranimer, et les déclarent tous les deux morts à midi.

Cet événement choque le milieu journalistique et littéraire de Paris. Même le New York Times publie, le surlendemain, le récit tragique de leur décès(4). Certains journaux parisiens évoquent, à mots plus ou moins couverts, un double suicide, mais les médecins concluent, pour tous les deux, à une mort « naturelle ». Pour couper court aux rumeurs, les enfants adoptifs du couple demandent aux médecins de pratiquer une autopsie, ce qui sera fait le lendemain. Ils remettent leur rapport le 17 décembre(5), et confirment la mort naturelle des deux époux, provoquée par une affection cardiaque, chez l'un comme chez l'autre. La présence d'un caillot dans le cœur d'Edmond semble indiquer une mort subite.

L'autopsie suggère l'idée que les deux crises cardiaques ont résulté d'une intoxication à l'oxyde de carbone, due au dysfonctionnement d'un poêle à charbon. L'impression générale de tous les témoins est que Monsieur est décédé après Madame.

Très vite se pose la question de l'héritage. Il s'agit de savoir lequel des deux époux est mort le premier, car si c’est Mélanie, ses biens propres doivent revenir à la famille Tarbé, et, selon le testament de ce dernier, distribué pour moitié aux enfants Tarbé et pour moitié à ses neveux et nièces Kauffmann. Dans le cas contraire, seul l'héritage d'Edmond sera partagé, les biens de Mélanie restant dans leur totalité dans la famille Kauffmann.

Malgré leur intention affiché d'arranger les choses à l'amiable, quelques mois plus tard, le beau-fils de Mélanie, Maurice Cahen, mari de sa sœur Léontine, et Adolphe Lautmann, mari de sa nièce Suzanne, portent plainte au civil. Le tribunal conclut à la mort de Mélanie, suivie de celle d'Edmond, d'après les témoignages et l'autopsie(6).

Marie Louis « Eugène » Tarbé des Sablons, 1846 - 1876

Chroniqueur musical et compositeur

la danse des Sylphes


Petit frère d'Edmond, Eugène avait comme son aîné un goût prononcé pour la musique, qu'ils devaient certainement à l'influence de leur mère. Tous les deux tenaient la chronique musicale pour Le Figaro, partageant parfois le même pseudonyme « Zanoni ». Mais Eugène alla plus loin en composant plusieurs pièces de musique : 

  • deux valses pour piano, « Souvenirs de Stockholm » en 1865, « Souvenirs de Copenhague » 
  • en 1868, une folie-vaudeville en une acte « Le supplice d'une tante » et une comédie « Les deux bigames » 
  • Il est aussi l'auteur de la « Danse des Sylphes », « La nonchalante », « La fringante » trois polka-mazurkas pour piano.

Journaliste-reporteur

Eugène Tarbé des sablons par Bénédict Masson

En octobre 1869 il est avec Théophile Gautier à bord du paquebot « Le Moeris ». Avec beaucoup d'autres personnages illustres ils font route vers l’Égypte pour l'inauguration du Canal de Suez. Eugène fait le voyage en tant que reporter pour « Le Gaulois », le journal de son frère. Au large de l'Italie, la mer déchaînée rend plusieurs invités malades, dont Gautier, qui se rompt la clavicule en tombant dans sa cabine. Il était question de le débarquer à Messine.

« J'y débarquerai aussi, gémissait le gros Tarbé, pris tout à coup de vomissement. La bourrasque éclatait. Nous chancelions tous ! Les garçons de chambre ne savaient à qui répondre et tendaient aux plus malades les vases opportuns.- J'en ai assez de la terre d’Égypte ! criait une voix entrecoupée d'un hoquet.- Eh ! Les Pyramides ! exclama Darjou.- Quarante cuvettes nous regardent ! exclama Tarbé. » d'après le récit fait par Louise Colet, qui était du voyage(7)

Eugène Tarbé des Sablons, par Bénédicte Masson

l'Aérostier

Aérostat

Pendant le Siège de Paris par l'armée prussienne en 1870, un ballon gonflé au gaz de ville fut utilisé pour la première fois comme moyen de transport, les transports terrestres étant bloqués. Les départs était entièrement dépendant des vents dominants, sans savoir du tout dans quelle direction et jusqu'à quelle destination le ballon se dirigerait. Plusieurs tombèrent dans l'océan Atlantique, tandis que d'autres se dirigèrent jusqu'aux pays nordiques. Si tout le monde connaît l'histoire de Gambetta, parti le 7 octobre, peu de gens en revanche savent que notre Eugène Tarbé des Sablons, aérostier amateur, fut lui aussi passager d'un ballon, justement appelé le « Merlin de Douai », acheté par le journal de son frère, qui partit de nuit le 27 décembre 1870. Cette tentative connut une issu moins dramatique, et, quelques tirs ennemis mis à part, réussit à se poser le lendemain à midi à Massay dans le Cher.

Le "Tramway à vapeur"

Tramway hippomobile

Le 16 juin 1874 Eugène reprend une concession de « tramway hippomobile » initialement créée en 1854 par M. de Mazenod, avec l'intention d'y installer une « traction mécanique ». Ce fut la naissance de la Société anonyme du Tramway à Vapeur de Rueil à Marly-le-Roi (ou T.V.R.M.R.), ligne qui avait pour ambition de relier Paris à Saint-Germain-en-Laye.

Mais deux ans après, Eugène meurt à Paris à l'âge de 30 ans, « enlevé, en pleine jeunesse, par une douloureuse maladie de quelques mois »(8). C'est son frère aîné, Edmond, qui reprend la concession de tramway.

Cette ligne partait de Rueil et suivi la rive gauche de la Seine jusqu'à Port-Marly. Elle desservait, entre autres, La Malmaison, Bougival, (où Eugène avait une propriété) et Marly en suivant le tracé des actuelles routes départementales D913 et D113. La ligne comprenait 14 arrêts : des gares, dotées de voies d'évitement et d'une salle d'attente, et des stations, implantées sur la voie unique(9). Elle devait à terme relier saint-Germain-en-Laye à la Place de l’Étoile à Paris, mais ces extensions ne furent réalisées que plus tard.

Edmond reprend donc le projet de son frère, par suite d'un jugement du Tribunal Administratif de Versailles le 13 août 1877, et lance aussitôt la reconstruction de la ligne sur l’accotement de la nationale 13 et non plus au milieu de la chaussée. La section reconstruite entre Rueil et Port-Marly ouvre le 15 avril 1878, les prolongations à partir du 16 mai 1890. La longueur totale de la ligne entre atteint alors 21,75 km.

Tramway St. Germain en Laye

Plus tard, la Compagnie du tramway à vapeur de Paris à Saint-Germain (P.S.G. !), créée en 1889, reprend les actifs de la Compagnie du tramway à vapeur de Rueil à Marly-le-Roi, fondée en 1878. Elle établit deux prolongements : le premier entre Courbevoie et Rueil, le second entre Port-Marly et Saint-Germain-en-Laye. Ces deux sections sont concédées par décret du 13 juin 1889, « au sieur Tarbé des Sablons ». Ainsi se crée le tramway à vapeur de Paris à Saint-Germain (P.S.G.) mis en service le 16 mai 1890.

Cette ligne fonctionnera après le décès d'Edmond jusqu'en 1903, date à laquelle Marly est désormais desservi par la ligne de Versailles. La section entre Marly-le-Roi et St-Germain-en-Laye deviendra la ligne de tramway électrifié n° 59. Paris est alors directement relié à St-Germain-en-Laye par Le Pecq, Vésinet, Chatou, Nanterre et la Gare Saint-Lazare, le futur RER A.(8)

Les enfants d'Eugène

Juste avant de mourir, durant l'été 1876, il semble que ce soit Eugène qui a mis enceinte une jeune fleuriste du 1er Arrondissement, Marie Joseph « Léonie » Rimboud-Ferrol. Elle avait 22 ans et vivait avec sa mère, veuve, marchande de légumes. Léonie accouche de jumeaux dans une maternité du 6ème Arrondissement(9) puis revient vivre avec sa mère. Les jumeaux, un garçon et une fille sont prénommés Edmond et Eugénie, « de père inconnu ». Malheureusement, le père supposé, Eugène, est mort 5 mois avant l'accouchement, peut-être sans même savoir qu'elle était enceinte.

Épuisée par l'accouchement, elle tombe malade et se rend à Enghien-les-Bains pour faire une cure, mais elle meurt dans sa pension au 60 Grand Rue (rue Charles-de-Gaulle aujourd'hui) à Enghien, avec à ses côtés Paul Jolibois, administrateur du « Gaulois », sans doute expédié sur place par Edmond. Les jumeaux désormais orphelins, inscrits à l'État-Civil sous le nom de Rimbaud, sont récupérés par la mère de Léonie. 

Chose surprenante, deux semaines après sa mort, les jumeaux sont reconnus par Edmond Tarbé des Sablons. Une mention marginale à chacun des deux l'actes de naissance précise: "Par acte reçu par Me Le Barbier, notaire à Dieppe (Seine-Inférieur) le vingt-et-un août 1877, Monsieur Edmond Tarbé des Sablons a reconnu pour son fils/fille l'enfant inscrit ci-contre. »(10) Leur patronyme est rectifié en « Tarbé des Sablons ». Avec une telle formulation, il est permis de se poser la question quant à la paternité des enfants : Eugène ou Edmond ?(11) Les biographes de la famille continuent à l'attribuer à Eugène, mais Edmond pourrait aussi bien en être l'auteur. Sans doute ne le saurons-nous jamais.

A sa décharge, un des biographes de la famille, Jean-Marie Hardouin Tarbé de Saint-Honoré, avance l'argument que la future épouse d'Edmond, Mélanie Kauffmann, n'aurait accepté les jumeaux orphelins avec tant de tendresse si elle savait qu'ils étaient d'Edmond plutôt que d’Eugène(12).

En tout état de cause, Edmond élève les deux enfants comme les siens, aidé en cela par sa mère avec qui il habite toujours. Plus tard il les nomme comme héritiers. Edmond Tarbé est le dernier des fils à porter le suffixe des Sablons. Grâce à la reconnaissance de paternité des jumeaux de Léonie Rimbaud, le nom se transmet aux deux générations suivantes :

  • Edmond Louis Tarbé des Sablons (1877-1936) sort ingénieur agronome de l'école de Rennes. Il devient chef de section à office des biens et intérêts privés, et puis directeur des Comptoirs Français d'Océanie. En Nouvelle Calédonie, il rencontre Yvonne Greslan et l’épouse en 1900. Le couple a deux filles, Louise Marie et Bichette, et un garçon nommé Paul Edmond, qui restera planteur à Nouméa, sans descendance.
  • Eugénie Tarbé des Sablons (1877-1948) se mariera en 1901 avec l'industriel André Chefneux.

C’est ainsi que le patronyme Tarbé des Sablons s'éteint, faute de descendants mâles.

- Paul MORSE, avril 2020

Notes


1)  Pour une histoire complète de la Lyre Amicale d'Eaubonne, consulter leur site

2)  Par décret du préfet de Seine-et-Oise du 16 septembre 1865.

3  Confidences d'un journaliste, Librairie Sagnier, 1876, pp. 291-292.

4)  New York Times du 15 décembre 1900.

5)  Le Figaro du 17 décembre 1900, article de Henri Petitjean.

6) Les plaidoiries et conclusions sont publiées, en janvier 1901, sous le titre : Conclusions pour Tarbé des Sablons et Chefneux contre Cahen et Lautmann. André Chefneux est le mari de la fille adoptive d'Edmond.

7)  Louise Colet, « Les Pays lumineux - Voyage en Orient », éd. E. Dentu, Paris, 1879, pp. 29-30, citée par le blog Horizons d'Aton 

(8) Pour une histoire très complète de cette ligne ainsi que d'autres de la banlieue ouest de Paris, voir l'excellent et très documenté site de Marc-André Dubout 

voir aussi l'article sur  Chemins de fer régionaux et urbains, n°114, 1972 et 122-123, 1974 (avec cartes postales et photos de l'époque).

9)  d'après l'acte de naissance, AD Paris, naissances 6ème Arrondissement, V4E 3185, n° 941, vue 29

10)  op cit, mention marginale
12)  Notons qu'en droit français (Art 340 du Code Civil), la reconnaissance a pour but d'établir la paternité de l'enfant, tandis que l'adoption a pour objectif de créer celle-ci.
12)  « Généalogie des Tarbé des Sablons » monographie consultable dans le fonds patrimonial de la Médiathèque Maurice-Genevoix d'Eaubonne, côte 4°MF 68