Un auteur Eaubonnais(1) né dans une bibliothèque!

Emile Chénin-Moselly

 Ce n’est pas souvent qu’un écrivain reçoit 2 fois le prix Goncourt pour ses œuvres. En réalité ce n’est arrivé qu’une seule fois, le 5 décembre 1907, pour récompenser « Jean des Brebis ou le Livre de la misère » d’Émile Chénin, qu’il avait publié en 1904. La même année, le jury décide de récompenser en plus « Terres Lorraines » du même auteur, publié lui en 1907. En fait, le jury a commis une erreur : selon le testament d’Edmond de Goncourt, le titre couronné devait avoir été publié dans l'année même du Prix. Ce fut donc, pour se conformer au règlement, une substitution : « Terres Lorraines » remplace « Jean des Brebis » comme titre récompensé.

Mais tout cela n’est qu’une péripétie de plus dans la vie d’Émile Chénin : il est peut-être le seul français d’avoir reçu non seulement 2 fois le Goncourt, mais en plus d’être né dans une bibliothèque, et de mourir en un lieu indéterminé (dans un train entre Quimper et Lorient)... 

Ci-joint à gauche: portrait de Chénin en 1907, l'année de son Goncourt

Si on parle souvent d’un écrivain né, il est rare qu’on évoque un écrivain né au sein même de la Bibliothèque Nationale à Paris ! Quels meilleurs auspices pour un futur Prix Goncourt ?

Les parents d’Émile ne sont pas des distraits qui se seraient arrêtés à la B.N. en route pour la maternité. Son père, François Auguste, né en Meurthe-et-Moselle en 1835, entame la carrière militaire après son mariage avec Marguerite Gantois, originaire elle aussi du Meurthe-et-Moselle, en 1863. Le séjour de la famille à Paris s'explique par la nécessité de trouver du travail. Victime de l'exode rural, le père occupait un modeste emploi comme gardien au Cabinet des Médailles à la Bibliothèque nationale, site de la rue de Richelieu à Paris. Émile est leur premier enfant qui survit, après avoir eu une fille en 1867 et des jumelles en 1869, qui décèdent peu de temps après leurs naissances.

Le 12 août 1870, à quatre heures du matin, vingt-trois jours après le début des hostilités Franco-Prussiennes et un mois avant le siège de Paris par les troupes de Bismarck, le petit Émile voit le jour dans le logement de fonction du père, situé juste en face du couloir qui mène à la salle de lecture. Son acte de naissance précise d’ailleurs : « né...rue Richelieu, à la Bibliothèque... »(2)

Mais la situation militaire, puis politique, dans la capitale (l'insurrection de la Commune de Paris débute le 18 mars 1871 alors que le petit Émile n'a que 8 mois à peine) incitent la famille à fuir les bombardements et la famine. Joséphine Chénin revint à Chaudeney où elle est née et où ils se sont mariés, en mai 1871, avec l'enfant alors âgé de neuf mois ; ils vécurent d'abord chez les grands-parents maternels, puis Achille acheta une maison, en novembre 1873, et rentra lui aussi au pays en 1874.

Les années d'enfance et de jeunesse passées à Chaudeney eurent sur Émile, et sur toute son œuvre, une influence capitale. Sa sensibilité, ses idées, ses préjugés, ont leur origine dans cette vallée aux dimensions limitées qu'il considérera toujours comme un havre de paix et de bonheur auquel il faudra sans cesse revenir pour s'y ressourcer. Nous connaissons bien les impressions multiples et les expériences qui ont influencé sa personnalité : elles constituent toute la matière du Rouet d'Ivoire, mais transparaissent, sans cesse, aussi dans les autres œuvres.(3)

Marie Fernande Barthélémy

Ainsi Émile Chénin, qui prendra le pseudonyme de « Moselly » quand il publiera sa première œuvre, n'est pas né à Chaudeney-sur-Moselle, village lorrain situé à 4 kilomètres en amont de Toul ; s'il en parle comme de son village natal, c'est qu'il peut y situer ses premiers souvenirs d'enfance et que la vallée marqua très fortement sa personnalité.(4)

Le 26 février 1897 Émile se marie avec Marie Fernande Barthélémy. Elle était Parisienne, mais sa mère venait elle de la Moselle, d’un village situé à environ 50 kilomètres au nord-est de Chaudenay. Sans doute l’a-t-il rencontrée lors de ses études à Nancy. Le couple aura 4 enfants : François Émile, né en 1898, Germaine en 1902, Jacqueline en 1906 (qui mourra enfant) et Jean-Pierre en 1913.
Famille Chénin




Émile fait ses études successivement à Nancy puis à Lyon, jusqu’à l'agrégation de lettres classiques en 1895. Au cours de sa carrière, il enseigna le français, le latin et le grec, successivement à Montauban (1895-1899), à Orléans (1899- 1910), où il compte Maurice Genevoix parmi ses élèves, au Lycée Voltaire à Paris (1911-1914), au Lycée Pasteur à Neuilly enfin (1914-1918). C’est lors de ce dernier poste d’enseignant qu’il s’installe avec sa famille à Eaubonne, dans une maison sise 167 chaussée Jules-César, à quelques minutes à peine à pied de la gare d’Ermont-Eaubonne.



Dans cette photo de famille, Émile est entouré de son épouse, ses parents et de ses deux premiers enfants (François et Germaine).

l'aube fraternelle

Son œuvre est riche d’une quinzaine de romans, dont voici la liste. Il signe tout simplement « Moselly ».

  • L 'Aube fraternelle, 1902

  • Jean des Brebis ou le livre de la misère, 1904

  • Les Retours, 1906

  • Terres lorraines, 1907 (prix Goncourt 1907)

  • La Vie Lorraine, 1907

  • Le Rouet d'ivoire : enfances lorraines, 1907

  • Joson Meunier : histoire d'un paysan lorrain, 1910

  • Fils de gueux, 1910

  • Georges Sand, 1911

  • La Houle, 1913

  • Le Journal de Gottfried Mauser, 1915

  • Nausicaa, 1918

  • Contes de guerre pour Jean-Pierre, 1918

  • Les Étudiants, 1919 (édition posthume)

  • Les Grenouilles dans la mare, 1920 (édition posthume)

Maison Chénin à Eaubonne

En plus de son double Goncourt, Emile Chénin-Moselley a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur par décret du Ministère de l’Instruction Publique le 5 juillet 1913, pour ses 17 ans dans l’enseignement.(5)

Il meurt brutalement d'une crise cardiaque entre Quimper et Lorient, le 2 octobre 1918, dans le train Quimper-Paris, de retour de vacances passées à Lesconil. Son corps repose temporairement à Lorient avant d'être déplacé à Chaudeney-sur-Moselle, où il est inhumé le 9 octobre 1919.

Sa veuve, sa fille Germaine et son fils cadet Jean-Pierre continuent à résider dans la maison d’Eaubonne. Un domestique, Louis Bohain, les aide, mais après 1926 Marie Fernande retourne à Nancy où elle décède en 1967. L’aîné, François Émile, retournera aussi à Nancy après ses études d’ingénieur. Il finira Directeur des Houillieres du Bassin de Lorraine. Jean-Pierre restera dans la maison jusqu’en 1936 au moins, avec son épouse Anne-Marie Riston, après le départ de Germaine en 1933.(6)

à gauche, cette belle propriété aujourd'hui

Joson Meunier

Germaine prendra comme nom « Chénin-Moselly ». De 1917 à 1922, elle s’initie à l’histoire de l’art ainsi qu’aux arts graphiques et plastiques à l’école Élisa Lemonnier à Paris. Au cours de cette période en 1921 elle acquiert une certaine notoriété en publiant plusieurs de ses croquis dans Le Pays lorrain. C’est elle qui gravera la planche de couverture des livres de son père, notamment « Joson Meunier »(7)


Le Cercle d'Études Local du Toulois (CELT) décerne chaque année en hommage à l'écrivain un prix récompensant une nouvelle ayant pour cadre la Lorraine.


Ses archives (manuscrits, épreuves corrigées) ont été données en 2007 par sa famille à la Ville de Nancy. Elles sont déposées à la Bibliothèque municipale de cette ville.


- Paul MORSE, Eaubonne octobre 2019

Notes

1) Il réside à Eaubonne les cinq dernières années de sa vie, entre 1913 et 1918. Une partie de son œuvre a été rédigée dans cette ville.

2)Archives de Paris, naissances 1870, 2ème Arrondissement, n° 1121, V4E 194, vue 14/31

3) Biographie de Chenin par Pierre Goudot, Cercle d'Études Local du Toulois (CELT)

4) Pierre Goudot, op.cit.

5) Base Léonore, Dossier Dossier 19800035/1330/54131

6) voir l'Annuaire Général des Lettres, édition 1933-34 et les Listes Nominatives des recensements 1926 et 1936, AME d’Eaubonne

7) Voir l’article que nous lui avons consacré dans les pages « Les artistes d’Eaubonne » sur ce site

Pour les lecteurs intéressés par la vie et l'oeuvre de Chénin-Moselly, largement façonnées par ses années passées dans le village de ses ancêtres, Chaudenay-sur Moselle, la revue "Études Touloises" a édité un numéro spécial en octobre 2018 (numéro 166) pour le centainnaire de son décès. Vous pouvez le commander sur leur site: Études Touloises.