Docteur Jean-Baptiste Margery

"Inventeur" de l'avenue Marguerite et de la rue Colette à Eaubonne

Mais comment un natif de la Corrèze ayant fait des études de médecine à Limoges est-il devenu un promoteur d'un lotissement à Eaubonne ? Suivons son parcours :

Le docteur Margery est originaire de la Corrèze où ses aïeux étaient maîtres chapeliers depuis au moins 1700. Ils s’appelaient d’ailleurs tous Jean. Notre Jean-Baptiste naît à Laguenne dans le banlieue de Tulle le 20 octobre 1859.

Il est dispensé du service militaire en 1880 car son frère Pierre est sous-officier dans le régiment des Dragons à Limoges. Après des études de médecine à la faculté de Limoges, il fait son internat à l'hôpital de cette ville.

Mais à 24 ans il rencontre une sannoisienne de 18 ans, Louise Blanche Meunier, dont les parents, bouchers, habitent au 24, rue de Paris (Bd Charles-de-Gaulle de nos jours) à Sannois,. Ils se marient le 7 novembre 1883 à Sannois.

Le couple s'installe à Sannois, d'abord 24 rue de Damiette, puis, en 1886, 50 rue de Paris (1) à côté de l'ancienne Mairie, dans la maison dévolue aujourd'hui à la Police Municipale de Sannois. Il n'y a pas d'enfants connus de ce couple.

Il se lie d'amitié avec le docteur Pierre Gabriel Biron (2), médecin d'Argenteuil connu pour avoir jugulé une épidémie de choléra dans cette ville pendant l'été 1892.

Puis il s'installe à Paris où il a son cabinet sur la place de la Bastille. Son mariage avec Louise Meunier ne dure pas : le divorce est prononcé en août 1901 (3)

Dès janvier 1902, il se remarie avec Marie Honorine Jeanne Prévost, 43 ans, veuve de Louis Michau, et le nouveau couple s'installe à Eaubonne, près de la gare d'Ermont-Eaubonne. Ils habitent d'abord rue Eugénie (devenue rue Jean-Jaurès) puis au 5, rue de l'Avenir (4) (devenue la rue Condorcet en 1926) avec femme de chambre, cuisinière et domestique. C'est également à cette adresse que le docteur Margery a son cabinet. Très connu à Eaubonne, il est nommé docteur inspecteur des écoles d'Eaubonne en 1904, et effectue chaque année un examen gratuit des petits écoliers de notre ville (5).

Lorsque, 10 ans après, éclate la Première Guerre Mondiale, chaque commune d'importance du nord de la France crée un Hôpital Auxiliaire pour soigner les blessés de la guerre. Le docteur Margery intervient en tant que médecin-chef (du 1er décembre 1914 au 1er novembre 1919) à l'Hôpital Militaire Auxiliaire n° 192 créé par le Dr Paul Nief, Maire d'Eaubonne, dans le quartier de l'Alliance (6).

En parallèle, Le docteur Margery fonde, le 1er août 1914 à Ermont, dans l'école des garçons place Jules-Ferry, l'Hôpital Auxiliaire n° 225 dont il est le médecin-chef jusqu'à la fermeture en juillet 1919. Il en assure notamment le service de nuit pendant les bombardements par avion. Blessé le 18 août 1918 au cours d'une opération, il contracte un phlegmon à l'avant-bras droit et gardera toute sa vie une incapacité partielle du pouce.

Du point de vue militaire, il effectue un Service Civil de 1914 à 1919, comme Aide Majeur de première classe Réserve et Territoriale.

En même temps, il crée à Ermont un dispensaire pour enfants du 1er âge. Inspecteur des nourrissons, il assure un service gratuit pour les nourrissons des familles des mobilisés et réfugiés.

Pour l'ensemble de ses services pendant la guerre, il est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur le 4 février 1921 sur proposition du Ministre de la Guerre (7)

Il siège comme Conseiller Municipal d'Eaubonne pendant la mandature de Charles Marret, entre 1919 et 1925, mais en vérité pas très assidûment. Il ne termine pas son mandat. Pendant l'été 1922 il retourne en Corrèze, à Argentat, où il continue d'exercer la médecine de ville. Son épouse Jeanne Prévost y décède le 11 avril 1925.

Ses opérations immobilières à Eaubonne

Le Dr Margery connaissait, de par ses fonctions, beaucoup de monde à Eaubonne, à Ermont et dans les autres villages alentours. Dès 1910 il commence à s'intéresser aux terrains à vendre entre ces deux villages, au nord du Chemin d'Ermont (la rue George-V d'aujourd'hui), le côté sud appartenant à l'Institution des Enfants Arriérés. Jusque là il s'agissait d'une zone de cultures – prés, élevage, petite culture maraîchère et vignes – travaillée depuis la Révolution par de nombreux habitants des deux villes, mais aussi de Saint-Prix, d'Andilly ou de Sannois.

Auparavant, ces terres faisait partie du fief de Bussy (autrefois appelé de la Couldraie) dont l'existence est attestée depuis 1408 (8) et qui a connu plusieurs seigneurs et une étendue à géométrie variable, mais toujours situées à l'ouest de la rue du Dr Peyrot, limitées au sud par la rue George-V et au nord par la rue Tarbé des Sablons. Si on tient compte des changements marqués d'orientation des parcelles toujours visibles dans le cadastre Napoléonien de 1829, la frontière ouest semble être la sente des chardonnerets prolongée jusqu'à la rue George-V.

Le dernier seigneur fut Joseph-Florent Le Normand de Mézières qui meurt dans son « château neuf » le 4 mai 1793. Son château est laissé à l’abandon et pillé au point d'être démoli en tant que ruine en 1800. Les pierres du château serviront à construire l'actuel « Manoir de la Cerisaie » à quelques mètres à l'est, toujours dans l'axe des deux pavillons de garde. Seuls subsistent aujourd'hui ces deux pavillons de garde de la rue du Dr Peyrot, et des vestiges de deux pavillons de réception au sud du château, encadrant une esplanade creusée et nivelée pour faire une entrée semblable au château de Marly. Ce que nous appelons aujourd'hui le « pavillon Italien » en était certainement un, avant d'être rehaussé.

Les terres du fief de Bussy sont saisies comme « biens nationaux ». Le 8 septembre 1796, un des fils de Joseph Florent, Ange Le Normand de Mézières (les deux autres sont en fuite) en rachète une bonne partie, mais criblé de dettes, se trouve obligé de se défaire de ses terres. Ainsi, les bâtiments de ferme, le matériel agricole, les pièces de vigne et de culture sont rachetés (et morcelés) par les habitants d'Eaubonne et les villages environnants, et aussi par quelques investisseurs parisiens avisés.

Les terres de l'ancien fief sont appelées le « Parc Neuf ». et « Les Vignolles » Une partie, le Domaine de la Cerisaie, reste intacte, est racheté en 1804. Les autres terres sont dispersées. Parmi les nouveaux propriétaires, nous trouvons les familles Masson, Soudet et Hennoque d'Eaubonne, les Dhéret, Dérondel, Constant et Lacour d'Ermont, etc. A l'exception des bâtiments de la ferme Bouscatel (41, rue George-V) il n'existe aucune autre construction à la fin du XIXe siècle entre la rue des jardins et la limite d'Eaubonne avec Ermont.

Avec l'arrivée du chemin de fer (Ermont-Eaubonne en 1844, Ermont Halte en 1877), ces terrains commencent à être attractifs pour les familles parisiennes avides d'espace et d'air pur, à 20 minutes de la Capitale. Plusieurs terrains sont vendus isolément le long de la rue de la Gare (du Général-Leclerc), des Robinettes, George-V et de Montlignon (Dr Peyrot), et on voit s’élever des pavillons en meulière ou en brique.

Mais les propriétaires les plus avisés commencent à acheter suffisamment de terrains pour pouvoir percer de nouvelles voies et en dégager des lotissements. Parmi les premiers, nous retrouvons la fille de Louis Masson, Berthe, qui complète dès 1907 des terrains hérités de son père ; et le Dr Margery qui commence à réunir juste à côté, à partir de 1910, plusieurs dizaines de petites parcelles, jusqu'à totaliser 2 hectares et demi (9). Sa première acquisition fut une parcelle de 2 500 mètres carrés (10) (acheté à Jean Gard d'Ermont, nourrisseur) situé en plein milieu du quartier des Vignolles, ce qui lui a permis de créer le carrefour Marguerite / Colette et dégager autour 8 lots à construire.

A la fin de l'année 1912 il en a suffisamment pour percer une rue entre le chemin d'Ermont (George-V) et le chemin des Vignolles (rue Marcel-Sembat), avec une rue perpendiculaire au milieu. A cette première voie il donnera le prénom de sa mère, Marguerite (11), et à la deuxième, Colette.

Les lots à construire sont mis en vente dès 1913, et la première maison (au n° 11 avenue Marguerite, famille Gauthier) sort de terre en 1914. Mais la guerre de 1914-1918 interrompt cette urbanisation, qui ne reprendra qu'à partir de 1922 environ (12). Un cahier de charges très strict veille à maintenir une cohérence et un certain standing à l'ensemble : alignement des maisons, rangées de tilleuls obligatoires, piliers mitoyens et grilles en fer forgé identiques, etc. dont il subsiste encore des éléments visibles, surtout côté impairs et en bas de l'avenue Marguerite (barres obliques des portes et portails en « S », plaques de protection des serrures aux numéros 3, 5 et 9, etc.).

Un plan d'Eaubonne datant de 1929 (12) montre l'avenue Marguerite avec 10 maisons côté impairs et 4 côté pairs, l'espace entre la maison à l'angle de la rue George-V et le n° 16 étant occupé par une exploitation maraîchère. La rue Colette compte 7 maisons en tout. La rue Louis-Masson n'existe pas encore (elle sera créée à la fin de l'année 1929), comme la rue des jardins qui ne deviendra celle que nous connaissons qu'en 1953.

Le recensement de 1931 liste 14 familles avenue Marguerite, et 9 rue Colette. celui de 1936 voit deux autres familles avenue Marguerite, tandis que rue Colette reste inchangée. En 1946, elles sont 18 avenue Marguerite (13).  Certaines des descendants de ces familles (Antoniotti, Gauthier/Duchon, Dupuis...) habitent encore les pavillons construits par leurs parents ou grand-parents.

Ci-après le plan d'Eaubonne de 1929 où l'on voit bien l'avenue Marguerite et la rue Colette, avant la création de la rue Louis-Masson, la rue des Pâquerettes et la rue Joseph-Bethenoud. Cliquez sur l'image pour l'aggrandir. (© Archives Municipales d'Eaubonne)

plan avenue Marguerite

Autres projets qui n'ont pas vu le jour dans ce quartier

Depuis le début de l'urbanisation de l'espace agricole entre les villages d'Ermont et d'Eaubonne, plusieurs projets ont été échafaudés pour être ensuite abandonnés. S'ils avaient été réalisés, ils auraient profondément modifié l'aspect du quartier.

Le premier, et de loin le plus délirant, a été envisagé en plein essor des chemins de fer à la fin du XIXème siècle. Un avant-projet de « Chemin de Fer en Vallée de Montmorency » (15) prévoyait un embranchement de la ligne Paris-Valmondois à la hauteur du passage à niveau rue Kléber d'Ermont. Cette ligne aurait grimpé la « montage d'Eaubonne » en suivant les rues Kléber, George Chabert, Maria Deraismes, et Locarno... pour arriver devant le cimetière actuel (où un arrêt était prévu à côté de l'actuel monument aux morts...), puis aurait continué en suivant le futur tracé de la déviation d'Eaubonne et de Montlignon jusqu'à la forêt, où un tunnel aurait permit de déboucher à une gare située derrière le Château de la Chasse, et un deuxième tunnel aurait mené jusqu'à Bouffémont ! Vu les nombreux obstacles et dénivelés, ce projet fut très vite abandonné.

Plus proche de nous, l'avenue Marguerite aurait dû être prolongée par le sud, de l'autre côté de la rue George-V, pour rejoindre l'avenue de Mme d'Houdetot lors du lotissement en 1926 du parc du Petit-Château. Mais cela aurait supprimé deux lots à construire, ce qui n'était pas du goût des promoteurs.

Dans l'autre sens, les prolongations de l'avenue Marguerite et de la rue Louis-Masson vers Ermont avaient été envisagée dans les années 1940, avec franchissement de la voie du chemin de fer par un pont, mais ces projet furent également abandonnés. Marcel Soudet, initiateur de la rue Louis-Masson, avait fait don en 1929 à la Ville d'un terrain de 8 mètres sur 39 (à gauche de la rue Colette) pour prolonger la rue Louis-Masson jusqu'à la rue Marcel-Sembat, ce qui ne fut jamais réalisé.

Avant la construction des maisons Castor en 1951-53, il était question à un moment de prolonger la rue Jules-Ferry, partant de la place Aristide-Briand, jusqu’à la rue Marcel-Sembat. Dans ce but, la Municipalité avait préempté plusieurs terrains dans la propriété « Forest » dans le Parc Neuf, et même entamé un début en 1932 avec la création de la rue de la Cerisaie (qui est dans l'axe de la rue Jules-Ferry). Mais les Castors ont trouvé plus rentable de créer une voie nouvelle plus sinueuse (la rue Joseph-Bethenod) permettant de dégager ainsi plus de terrains à construire. Les terrains préemptés furent alors employés pour créer l'école maternelle de la Cerisaie.

Avant que l'avenue de la Première Armée Rhin et Danube coupe en deux la Résidence Raspail en 1965, formant un segment de la future déviation de la Départementale D 909, le projet initial prévoyait que cette voie, après être passée devant le cimetière, monte tout droit et rejoint la rue Marcel-Sembat (au lieu de fléchir à droite). Arrivée à l'avenue Marguerite, elle aurait traversé les terrains à l'arrière des maisons sur la rue Locarno, traversé l'impasse des Vignolles, pour ensuite redescendre sur le centre d'Ermont en traversant les voies de chemin de fer par un pont. Pendant longtemps, ces terrains furent gelés dans cet attente. Finalement, c'est la solution Rhin et Danube qui a emporté.


- Paul MORSE, mai 2014 – novembre 2015

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Notes:

1   recensements de la population, listes nominatives à Sannois 1886 (9M 891, vue 34, et 1891, 9M 891, vue 10)
2   et qui sera témoin à son deuxième mariage
3   le 5 août 1901 à Paris. Divorce au profit du mari. Avoué : Ratiery
4   Recensements de la population, Listes Nominatives 1911, ADVO 9M506 vues 78-79, liste nominative, recensement
     1926, Archives Municipales d'Eaubonne, vue 11
5   et pour cela le Conseil Municipal d'Eaubonne lui exprime ses remerciements chaleureux par une délibération du 16
    novembre 1912 (Archives Municipales d'Eaubonne).
6   dans l'ancienne salle des fêtes, 10 rue Danielle Casanova (anciennement rue de l'Alliance).
7   voir son dossier complet sur la Base Léonore, dossier n° 19800035/0270/36092
8   Aveu de Jean de Bucy, 20 janvier 1408. Archives de Chantilly
9   selon les Matrices Cadastrales, folio nominatif Margery, Archives Municipales d'Eaubonne.
10   parcelle n° 416 du cadastre Napoléonien, acheté le 13 juillet 1911 pour 20 000 Frs (66 6400 Euros actuels)
11   le 8 décembre 1912 (enregistrée le 23 décembre 1912) – voir cahier de charges rédigé par le Notaire Charles
     Schoengrün à Sannois le 8 décembre 1912.
12   le recensement de 1921 ne liste que deux familles avenue Marguerite : Gauthier et Forêt.
13   Archives Municipales d'Eaubonne
14   Listes Nominatives 1931, 1936 et 1946. Archives Municipales d'Eaubonne.
15   pour voir le plan détaillé sur Gallica: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53020980j.r=chemin+de+fer+en+vall
    %C3%A9e+de+montmorency.langFR