Compère-Morel

Le député dépité

Constant Alphonse COMPÈRE, dit COMPÈRE-MOREL, Député socialiste du Gard de 1906 à 1936, qui a choisi Eaubonne comme résidence secondaire. Il gardait secret l’existence de cette belle maison avenue Jeanne, en contradiction totale avec sa position affichée contre l’accumulation des richesses et de la propriété privée. Le public en eut connaissance parce qu’en avril 1912 sa maison fut cambriolée, et le Député a porté plainte...

Adéodat Compère-Morel

Constant Alphonse Adéodat COMPÈRE naît le 4 octobre 1872 à Breteuil-sur-Noye dans l’Oise, fils d’un horticulteur et conseiller municipal socialiste Louis Adolphe Compère, et de Laure Stéphanie Pringuez.

Suivant l’exemple de son père , Constant exerce le métier d’horticulteur-pépiniériste, et devient à son tour militant de la S.F.I.O (1) du Département de l’Oise. Il gravit les échelons nationales de la S.F.I.O. pour en rejoindre la direction, où il s’occupa des questions agricoles. Il ne cessa, depuis, de promouvoir la doctrine du socialisme agraire. Il soulignait la distinction entre la propriété paysanne mise en valeur par son détenteur, et celle qu'exploite un travail salarié. « Le socialisme, disait-il, respecte la première et ne s'attaque qu'à la seconde. »

En 1893, il se marie avec Jeanne Marguerite MOREL, fille d’un cordonnier de Breteuil, dont il attacha le patronyme au sien. Entre 1898 et 1906 il se présente 3 fois comme candidat à la députation dans l’Oise, mais échoua à chaque fois. Par contre, il est élu maire de Breteuil entre 1904 et 1915.

Élu sous la Troisième République député du Gard (Circonscription d’Uzès) en 1909, à l’âge de 37 ans, il siégee à la Commission de l’Agriculture où il promit de défendre « le monde paysan, les agriculteurs, les viticulteurs et les sériciculteurs ». Il fut systématiquement réélu jusqu’en 1936.

Entre 1912 et 1921 il participa à la rédaction du « Grand dictionnaire socialiste du mouvement politique et économique national et international », et en 1936 écrit un livre sur Jules Guesde « Le Socialisme fait l’homme » ainsi que plusieurs autres ouvrages et articles semblables, notamment sur le socialisme international.(2) Il est un des gestionnaires du journal « Le Populaire » organe officiel de la S.F.I.O. « journal revue hebdomadaire de propagande socialiste et internationaliste » qui cesse de paraître en 1940 (ne pas confondre avec le journal clandestin crée par Daniel Mayer en 1941 qui reprit le même titre et devint un journal de grand tirage après la guerre.)

sa maison d'Eaubonne

En ce qui concerne sa résidence secondaire à Eaubonne, le journal « La Croix », 11 avril 1912, sous le titre « Député cambriolé » écrit :

« M. Compère-Morel, député socialiste unifié du Gard, vient d’être victime d’un cambriolage. Des malfaiteurs se sont, en effet, introduits la nuit dans la villa que ce parlementaire habite, 32, avenue Jeanne, à Eaubonne. après avoir forcé la porte d’entrée. Ils ont consciencieusement fracturé et inspecté de nombreux meubles, et ils allaient se retirer, chargés de dépouilles, quand quelqu’un troubla la fête. Dérangés par un bruit de pas ou par quelque crainte chimérique, ces partisans (socialistes peut-être) de la reprise individuelle, s’enfuirent en abandonnant leur butin. M. Compère-Morel a porté plainte contre ses voleurs. »

Un autre commentaire, plus amer, est celui, anonyme, signé « un désabusé » paru dans «Bloc-Notes Parisien » du journal Tout-Paris (édition du 12 avril 1912)  sous le titre « Monsieur Compère-Morel cambriolé »

« M. Compère-Morel, député du Gard, est, comme chacun sait, un des plus brillants socialistes unifiés du Parlement. Comme tel, il professe que la propriété est un vain mot, en tant que propriété individuelle. Seule la propriété collective existe (...)

Or, M. Compère-Morel est riche. Ou, tout au moins, il doit l’être, si j’en juge par les signes extérieurs de la fortune, car il est possesseur, oh le vilain mot, d’une villa sise 32, avenue Jeanne, à Eaubonne. Avez-vous remarqué que bon nombre de socialistes, et parmi les plus farouches, sont pourvus d’une agréable fortune ? Ils gémissent confortablement sur la misère du pauvre monde. Ils se font voiturer dans des automobiles de quarante chevaux, mais ils demandent que l’on fasse place aux honnêtes gens qui vont à pied. (...)

Et il vient d’en arriver une bien bonne à M. Compère-Morel. Pendant qu’il était absent, de braves électeurs, des citoyens de la patrie universelle, se sont introduits dans sa villa. On a dit que c’étaient des cambrioleurs (...)

Et ils ont commencé à se servir sans lui, comme les invités qui se mettent à table avant le retour de l’amphitryon, se disant que M. Compère-Morel n’aurait qu’un regret, celui d’être revenu trop tard pour assister à la nationalisation de ses meubles, de son argent et de ses valeurs, mais qu’il se consolerait en constatant combien l’affaire avait été rondement menée. (...)

Or, M. Compère-Morel revint. Et, au lieu d’être content, il se montra furieux ; non pas furieux que les visiteurs eussent été empêchés d’emporter leur part de son bien, mais furieux qu’ils eussent seulement songé à emporter quelque chose. Et il déposa une plainte contre eux.(...) »

Il s’agit d’une des plus belles propriétés d’Eaubonne, à quelques minutes à pied de la gare d’Ermont-Eaubonne.

Il semble que, pour plus de discrétion peut-être, la maison d’Eaubonne fut achetée au nom de son épouse. Le recensement de 1931 (3) remarque la présence de Madame Marguerite MOREL habitant au numéro 36 (et non 32) de l’avenue Jeanne. En 1931 elle n’avait pas encore adjoint à son nom celui de son mari. A partir de 1936 seulement elle s’appelle COMPÈRE-MOREL. Le Député ne figure pas sur la liste nominative.

L’occupation de la France le conduit au ralliement, en 1940, à Pétain.(4) Un an après, il meurt à Sernhac dans le Gard, le 3 août 1941.

Un collège de Breteuil, sa ville natale, porte le nom du couple COMPÈRE-MOREL.

Paul MORSE, août 2017, janvier 2018

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Notes

  1. Section Française de l’Internationale Ouvrière
  2. Voir la bibliographie complète des ses 40 livres sur le site de la BNF
  3. Liste Nominative des habitants d’Eaubonne, recensement 1931, Archives Municipales d’Eaubonne.
  4. Un paradoxe français, Paris: Albin Michel. p. 91. ISBN 978-2-226-17915-9.